[Prélude] Un accident volontaire.

Fëanor sortit du Hall par la porte Ouest. Vers la falaise. Il longea un temps le mur d’enceinte, puis pris par le pont de bois. Il craquait et bougeait plus que d’habitude, il faudra le réviser. A la dernière planche, sa botte passa à travers, puis tout son corps. Dans un bon réflexe, il eu le temps de s’accrocher au rebord. Avant même de penser à se hisser, il maudit deux ou trois fois le destin. Une fois remis sur pied, il examina sa cheville… elle lui faisait mal… Il lança un regard noir au petit pont qui avait cessé tout mouvement, impassible comme si rien ne s’était passé.
Fier de lui.
Alors le rôdeur empoigna le manche de sa vieille épée, et dans un grand mouvement circulaire, trancha tout les cordes, détruisant définitivement la passerelle.
Mesure de précaution, si jamais quelqu’un l’empruntait sans faire attention, il pourrais rater son coup et de briser la nuque à la fin. Et puis, mesure de vengeance aussi.
Il signalerais cela plus tard… après avoir continuer son ascension, il s’assit au bord de la falaise, face à la mer et au soleil couchant.

Fëanor a toujours aimé médité. Il ferma les yeux, et se laissa emporter par la faible chaleur des ultimes rayons rasants.
Le mariage de Nadia, la « caline », lui avait plu. Il y avait du monde, de vieilles connaissances, et les mariés étaient magnifiques. Le discours lui avait plu aussi, il lui avait fortement rappelé… Puis il s’était sentit très mal. Ces temps ci, toutes ses vieilles blessures se réveillaient parfois. Des blessures qu’il avait oubliées… des blessures qui ne laissent pas de traces.
Il prit une grande inspiration, l’air était pur et calme, une brise lui rafraîchit le visage.
Il lui semblait sentir son parfum… Il secoua la tête, comme pour oublier.
Il lui semblait entendre ses pas… mais encore plus fort que les battements de son cœur.
Enfin, il sentit sa présence, un présence envahissante, énorme. Il se leva et se retourna d’un bond. Quand il ouvrit les yeux, il eu un mouvement de recul… Arthas se tenait devant lui.

-Maître…

Le rodeur fit signe au guerrier de se taire. Puis il se massa les tempes et jeta un dernier regard vers l’océan.

-C’en est assez ! Après toutes ses années, vous me traitez pirement qu’un sous fifre ! Vous êtes plus aimables avec les inconnus ! Je vous ai toujours considéré comme mon père, et toujours défendu ! Aujourd’hui ,plus le temps passe moins je mérite votre respect ! J’en…
-Il suffit !

Fëanor contempla un temps le visage crispé et les poings serrés de son interlocuteur, avant de reprendre.



-Tu n’es jamais demandé pourquoi ? Au lieu de te poser des questions sur les autres, poses t’en sur toi même ! Je fais cela pour t…
-Pour mon bien ?! Ah ah ! Faites moi rire, j’ai passé l’age il y a fort longtemps !
-Pour ton éducation ! Elle ne sera finie que quand je serais mort. Je trouve que tu régresses ces derniers temps ! Voilà tout !
-Vous avez commencé par m’agresser sans raisons, vous… !
-Ra ! Allez, arrêtes donc ! Je ne suis pas en état, laisses moi !

A peine eu t’il finit sa phrase que Fëanor ne sentit plus ses pieds toucher le sol. Arthas le soulevait, son visage semblait métamorphosé par la colère. Le rôdeur suffoqua, il ne savait pas comment réagir. Il cria au guerrier de le lacher, mais celui ci semblait être devenu sourd, il le fixait intensément, d’un regard fou. Le corps du rôdeur était maintenant au dessus du vide…
Quelques années avant, il se serait laissé tomber et aurait encaissé cette lourde chute. Ou bien aurait trouvé une botte contre son agresseur.
Mais là, non, Arthas avait une force surhumaine et était un des meilleurs lutteurs de tout le royaume d’Ascalon… Fëanor le savait, il l’avait formé pour ça… Maintenant, il avait peur. Il avait peur pour la première fois depuis des lunes… Le guerrier le tenait par les épaules, et il allait peut être les lui briser… Le vieux rôdeur fut submergé par l’émotion, et ne trouva même pas la force de réfléchir plus longtemps à sa situation.
Il ferma les yeux quand il ne sentit plus les lourds gantelets sur ses bras, quand il se sentit tomber, quand il heurta ce rocher et quand il s’écrasa sur le sable.

Son armure était plus qu’excellente, et il était tout de même robuste… ne pouvant pas se relever, il cracha du sang, et cracha encore. Ses oreilles bourdonnaient et sa vue baissait… il voyait les images du jeune Arthas qu’il avait recueilli. Le vaillant guerrier qui le défendait toujours, qui avait sauvé sa vie maintes fois, son fils… Et sombra momentanément dans l’inconscience.

Le regard hasardeux, il contemplait l’île. Le soleil était haut et chatouillait les pigments de sa peau, si blanche pourtant. Quand tout à coup, ses yeux s’écarquillèrent. Ses paupières se rétractèrent pour dessiner un visage épouvanté. Ce que venait de voir Kad était incroyable. D’une falaise venait d’être jeté un corps. Corps dont le jeune nécromancien ne distingua que les cheveux. Ils étaient d’un blond terni, comme présageant la mort de l’être à la fin de sa chute. Blanche comme les os, blanche comme la peau froide, blanche comme le néant.
Kad ne su que faire. Emporté dans une crise de panique, il fut pris de convulsions qui l’obligea à se mettre à terre. Il fixa de nouveau le ciel, tremblant et s’agitant. Cela faisait la deuxième fois qu’il voyait la mort. Mais cette fois-ci, l’assassin était en vie.
Le choc ne le cloua pourtant pas au sol. Il se releva avec rigueur, décidé à sauver la victime…qui devait sûrement être déjà morte.
Le jeune homme s’élança vers la falaise, défiant le vent qui lui sifflait aux oreilles. Il se rapprochait et l’ombre meurtrière se défilait. Le tueur partait d’un pas lourd, brutal et décidé. Peu de temps après il disparu, résolument trop rapide pour le nécromancien. La seule chose que Kad réussit à rejoindre fût le cadavre.
Le corps inerte gisait sur la plage, le sang se mêlant au sable.

Fëanor avait les paupières closes. Il tenait ses membres écartés et pendant sur le sol. Le roc qui le supportait semblait être l’autel de ce chef sacrifié. Quelques minutes furent nécessaires à Kad pour réaliser la chose…On avait assassiné son maître, son employeur mais aussi son père de fortune.
Il descendit avec prudence à ses côtés. Kad imagina que le rôdeur eu désiré une mort plus correcte. Une mort de guerrier, sur un champ de bataille comme tous les combattants le souhaitaient. Le maudit destin en avait décidé autrement : Fëanor Valandril pourrirait sur une plage, assassiné par un anonyme.
Kad lui rendrait hommage. Il saisit Fëanor tant bien que mal pour l’installer plus « confortablement ». Malheureusement la masse tomba sur lui et lui projeta une gerbe de sang dans les yeux. Ses mains étant coincées sous le chef et il ne pu se les essuyer. Il se dégagea donc à l’aveuglette, cognant la roche qui se trouvait derrière lui.
Après quoi, Kad nettoya les plaies sanguinolentes avec du tissu. Il constata que la jambe du « mort » était brûlante et voulu la rafraîchir.
Il se dirigea vers la mer et imbiba le tissu rouge d’eau salée. Satisfait, il retourna auprès de Fëanor. Il s’agenouilla, présentant devant lui le tissus comme une relique. Il l’appliqua sur une plaie et fit pénétrer l’eau salée à l’intérieur…L’eau salée empêcherait la cicatrisation…
Kad avait cru bien faire.

La réaction ne fit pas attendre... le vieux rodeur avait encore la puissance de survivre.
Il se réveilla et le premier mot qu'il sortit fut une injure céleste, comme lui seul savait en dire.

Il ouvrit les yeux et se tenait le torse. Il cracha encore du sang avant d'ouvrir les yeux et de voir Kad près de lui. Il marmonna :
-Mes poumons... je pourrais plus fumer comment avant... Kad, approche, kad, n'ai pas peur, je vais bien, regarde, je vais me redresser...

Puis il essaya de s'assoir. Une violente douleur lui lacéra la colonne, mais il était habitué à avoir mal. Mais soudain son esprit lui repassa la scène... la chute... Arthas... Arthas....

-Arthas ! Arthas ! Non... Arthas ! Arthas.... que me reste t-il Kad ?

Il se laissa de nouveau tomber dans le sable et se cacha les yeux avec ses mains.

Non loin de là, sur le chemin menant à la Forteresse des Colporteurs d'Ascalon, un petit groupe de guerrier abordant fièrement les couleurs de la guilde avançait lentement vers la lourde porte, un garde les interpela, la porte s'ouvrit.
Arachnos venait de rentrer d'une mission diplomatique avec son escorte, pour une réunion importante.

- J'ai de bonnes nouvelles pour Fëanor Valandril, où est-il s'il vous plaît? Demanda-t-il à un garde en poste devant l'entrée de la Grande-Salle.

- Nous ne savons pas monsieur, maître Valandril n'a plus été aperçu depuis qu'il a quitté le Hall pour se rendre sur la côte.

- Bien, merci, je vais aller faire un tour de ce côté voir si je le trouve.

Arachnos sortit donc du Hall, empruntant le chemin tracé pour se rendre sur la côte de l'Ile, mais quelle ne fut pas sa surprise quand il vit que le pont de bois était écroulé, affolé, il se précipita pour regarder en contrebas, mais il n'y avait rien, aucune trace de Fëanor. Il examina donc de plus près la corde.

- Mais elle à été coupé, ce n'est pas un accident !

Après ces brusques paroles, Kad resta figé. Il avait du mal à réaliser que le mort était vivant. Il observa longuement Fëanor, recroquevillé sur lui-même. A travers les mains qui cachaient son visage, on percevait le souffle haletant du rôdeur. Le nécromancien avait longuement admiré son chef. Toujours bon avec les autres, constamment à l’écoute des plus faibles…A son écoute.
Et devant lui, souillé par son propre sang, l’être était en train de pleurer. Kad savait combien il était difficile de faire pleurer les grandes personnes. A l’intérieur de ce corps massif se lamentait un cœur, un cœur qui avait perdu quelqu’un. Le nécromancien détourna son regard vers la mer, gêné de le regarder gémir ainsi. Kad se leva, et s’éloigna, mieux fallait-il que Fëanor s’isole. Le jeune homme ne pourrait rien faire contre son chagrin.
Au fur et à mesure qu’il avançait, le bruit des vagues surpassa celui des pleurs. Le désespoir de Fëanor avait plongé Kad dans la nostalgie. Le visage de Jaelin se dessina dans le sable. Kad déglutit. Il le fixa durement, fronçant les sourcils comme un enfant mécontent :

_Mmmais…Le ssa…ss..sable paas…Jaa…Jae…Jaja..lin !!!


Il se jeta à terre. Et de ses poings chétifs écrasa la face de la défunte. Il prit du sable dans ses mains et les jeta partout autour de lui. Cette vision angélique lui serrait le cœur. Le semblant de visage avait totalement disparu.
Refoulant alors sa peine, il écouta le bruit des vagues. Les souvenirs douloureux de Fëanor et Kad avaient rendu le temps maussade. L’atmosphère était en train de changer. Les nuages se rougissaient et le ciel devenait marron. Des scènes de souffrance, des corps étirés et tordus se dessinèrent dans les nuages. Kad fixa ce spectacle horrifiant. Il était terrifié. Une fine pluie rougeâtre se mit à tomber.
Comme le ciel devenait sombre, la mer l’imita. Bientôt on ne vit qu’une immense étendue de boue opaque…Quelle magie noire avait provoqué ce changement ? Le nécromancien s’approcha de « l’eau ». Des bulles boueuses s’en échappèrent, et tout de suite après une centaine de poissons morts surgirent à la surface. Leur ventre était gonflé, noirâtre. Kad dans un mouvement de panique se mit à courir. Courir si vite qu’il ne vit pas la roche face à lui et la percuta violemment.
………………
…
…………….
…………
….
Kad gisait sur une plage jaunâtre, le crâne en sang.

La vision terrifiante des nuages rouges sang paralysa Arachnos sur place, cela lui rappelait la Fournaise... il secoua la tête, Fëanor, où était-il donc?

- Fëanor !? Hurlait-il.

Il sauta en contrebas, passa les reste du pont et se mit à courir en direction de la plage, quand soudain il aperçu quelque chose à quoi il ne s'attendais pas du tout. Le corps d'un jeune nécromancien gisait là, sur le sable, la tête en sang.

- Mais... mais c'est Kad, Kad Von Obilis !

Il accouru aux côtés du jeune homme, il était inconscient.

- Kad, Kad, répond moi, qu'est ce qui se passe ici? Par pitié, réveille toi vite !

Le rôdeur sortit un petit flacon d'Onguent de Trolls de sa giberne et l'appliqua sur le nécromant, petit à petit, les plaies de Kad Von Obilis se refermaient et il reprenait conscience.

Kad s’éveilla. Ses paupières collées par son sang se séparèrent brusquement. Le nécromancien perçu une silhouette au dessus de lui, encore floue. Cette dernière n’attendit pas le réveil du jeune homme et le releva énergiquement. C’était Arachnos. Son visage était creusé par l’inquiétude, ses nerfs étaient tendus et ses cheveux se collaient à sa peau. Jamais Kad ne l’avait vu dans cet état. Sans perdre une seconde, le rôdeur s’écria :

_Où est Fëanor, Kad ! Où est-il ?

Kad, totalement groggy ne se soucia pas de la question et s’allongea sur le sol. Arachnos, dont la quiétude était déjà très loin, n’eu pas la patience face à ce comportement. Il empoigna violemment Kad, le relevant et le soulevant du sol. Il reposa alors sa question avec une pointe d’exaspération. Alors la conscience du nécromancien s’éveilla. Il se rappelait de la falaise, de la plage et du sang de…


_ « FËANOR !!!! » hurla Kad épouvanté.


Kad, avec une force qu’on ne lui connaissait pas se dessaisit de la prise du rôdeur. Ce dernier vu la réaction agressive qu’il avait eu à son égard s’excusa alors. Il dit que le ciel et la disparition de leur maître le rendaient fou. Le nécromancien, paniqué ne se soucia pas de ses excuses. Ils se mirent à courir tous les deux, en direction de la plage où on avait laissé Fëanor. Ils passèrent devant « le visage de Jaelin », projetant des gerbes de sables sur leurs chausses. Et enfin, ils y arrivèrent. Sur le sol, on ne trouva que les poissons noirâtres. L’officier s’approcha lentement, tourna la tête dans tous les sens mais ne vit pas la trace de Fëanor. Il avait disparu.
Kad se baissa auprès d’un des poissons. Loin d’être enchanté de le saisir, il scruta l’animal à distance. Une trace de dents avait déchiré un côté du poisson et laissait couler l’épais jus noirâtre Leur chef aurait-il mangé cette chose par désespoir ?
C’était impossible. Seule une créature sans honneur pouvait avaler cette chose.
Sans plus attendre, devant l’odeur infecte que le poisson dégageait, le nécromancien vomit.
Arachnos le releva avec peine. Un profond dégoût soulevait son estomac, mais il resta passible, faisant « bonne figure ».
Les deux colporteurs escaladèrent alors la falaise. Heureusement pour Kad, il y avait des prises faciles, fautes de quoi la malchance en aurait profité pour l’humilier.
Mais un spectacle pire encore s’offrit à eux…Au loin se dessinait l’ombre du hall.
Il était en flammes. Un vent de fournaise et de mort leur battait les tympans. Arachnos et Kad contemplaient silencieusement la scène, dans un silence presque religieux. Ils étaient en deuil, en deuil d’une guilde. Le dôme principal s’écroulait lentement, comme un gigantesque titan mort. Kad cru voir dans les nuages, le visage de Blamor qui lui souriait. Il prit un air grave, puis détourna son regard vers l’herbe sèche.


Fin du Chapitre...